De la vision à l’action : comment concrétiser sa vision pour développer une entreprise durable
L’individu qui se lance dans la grande aventure qu’est l’entrepreneuriat est plus souvent qu’autrement un créatif et un innovateur. C’est un preneur de risques, le bâtisseur de demain. Chez Espace-inc, c’est cet entrepreneur qui pense en dehors des normes traditionnelles, l’atypique, qui a envie de construire et de réinventer, qui nous fascine. Comment ces entrepreneurs s’y prennent-ils pour concrétiser leur vision? Qu’est-ce qui fait en sorte que certains y parviennent alors que d’autres, tout aussi qualifiés, n’y parviennent pas?
C’est sur cette question que se sont penchés nos entrepreneurs de la cohorte CROISSANCE en avril dernier alors que nous lancions notre atelier De la vision à l’action, animé par Charles Crawford.
Charles Crawford est le fondateur du Domaine Pinnacle et d’Ungava Spirits. Il est un entrepreneur aguerri qui connaît bien la réalité et les enjeux de l’entrepreneuriat au Québec. Son amour de l’entrepreneuriat l’a d’ailleurs poussé à effectuer un retour sur les bancs d’école pour compléter un doctorat, une petite folie comme il dit, mais qui lui a permis de pousser ses recherches sur les facteurs de succès des entreprises qui connaissent de la croissance. Et tout ça, en même temps que de bâtir le domaine Pinnacle!
« J’ai toujours eu de l’intérêt et j’ai beaucoup lu sur l’entrepreneuriat. Je me demandais quels étaient les éléments communs dans les compagnies à forte croissance. J’ai décidé de faire mon doctorat, c’était un peu une folie de 7 ans que j’ai fait à temps partiel, mais j’avais l’intérêt intellectuel de la recherche sur les entrepreneurs et de voir qu’est-ce qui sépare les gagnants et les autres disons.» – Charles Crawford
Une vision concrète
Selon Charles, tout commence avec une vision concrète. Peu importe le projet, il faut avoir une vision, soit une image claire et spécifique en tête de ce que l’on veut accomplir et que cette vision soit partagée. Emprunté des travaux du Dr. Susan Reid, professeure et chercheure à Bishop’s sur la vision entrepreneuriale, Charles présente les 3 éléments clés qui forment une vision claire et solide :
- un objectif futur potentiel (Scope & Form) : identifier ce que l’on veut, être capable de le visualiser et de visualiser son étendue, viser quelque chose de tangible et fixer une date pour l’atteindre;
- la passion (Magnetism) : que la passion transcende afin de créer du magnétisme, soit d’attirer autant les clients, les employés que les investisseurs potentiels autour du projet d’affaires;
- la clarté et la spécificité : plus on est en mesure d’imaginer des détails spécifiques, plus cela forme une vision forte.
Les avantages d’avoir une vision forte sont multiples. D’abord, cela augmente la capacité de l’entrepreneur d’attirer des capitaux. Être en mesure de transmettre sa vision, de fournir des détails sur ses objectifs, tant quantitatifs que qualificatifs, est très important lorsque l’on s’assoit devant un investisseur. C’est un avantage non négligeable qui fait toute la différence. Une vision solide permet aussi d’attirer les premiers clients, les «Early Adopters» et les « Lead Customers » qui deviendront ambassadeurs de la marque, des références pour de futurs clients. C’est sans parler de l’avantage compétitif supérieur qui en émerge.
Atteindre sa vision
Quels sont les éléments qui font en sorte que certains entrepreneurs atteignent leur vision et connaissent de la croissance alors que d’autres non? La réponse est la force du réseau!
Charles a longuement étudié la littérature sur le sujet afin de formuler ses propres idées. En analysant les études d’autres chercheurs qui s’intéressent aussi à cette question, il a été en mesure de faire ressortir les facteurs de succès les plus probants et desquels son travail est largement inspiré.
D’abord, le réseau permet à l’entrepreneur de bâtir son capital social (Burt, 1997). Au même titre que les ressources financières, les ressources humaines et les ressources physiques, nous avons des ressources sociales. La capacité de l’entrepreneur de se mettre en réseau avec d’autres entrepreneurs, de créer des liens, de bâtir et nourrir ses relations, lui procure un avantage certain. L’entrepreneur a tout à gagner de se frotter à d’autres entrepreneurs, qui comme lui, vivent les hauts et les bas de l’entrepreneuriat.
Ensuite, il y a la théorie du Strength of weak ties (Granovetter, 1973). Selon cette théorie, il vaut mieux avoir un réseau très large qu’un réseau solide, mais restreint. Pourquoi? Parce que le jour viendra où l’entrepreneur aura besoin d’une porte d’entrée quelque part ou d’être présenté à quelqu’un de spécifique pour faire grandir son entreprise et que son réseau de 10 personnes sera insuffisant.
La littérature démontre aussi que les entrepreneurs qui passent plus de temps en Boundary spanning (Dubini et Aldrich, 1991; Stuart, 2000), soit à se tourner vers l’extérieur plutôt que l’intérieur de leur entreprise connaissent plus de succès. Le fait de se tourner vers l’extérieur et donc de réseauter permet de créer des contacts. Avoir un nouveau contact, crée inévitablement un réseau d’autres contacts potentiels. C’est ce qui est appelé Alliances constellation et Network of networks (Lorenzoni et Ornati, 1988).
« Quand tu ajoutes quelqu’un dans ton réseau, tu n’ajoutes pas juste une personne, tu ajoutes son réseau en quelque sorte. Tu as un effet multiplicateur. » – Charles Crawford
Pour ses recherches, Charles s’est aussi intéressé à la théorie portant sur l’Effectuation (Sarasvathy, 2001) selon laquelle l’entrepreneur doit maintenir une certaine flexibilité, car il évolue dans un monde en constante mouvance et que son plan initial ne peut pas toujours être suivi. Il construit et façonne le futur en avançant avec les ressources et les opportunités dont il dispose. Sa créativité est constamment sollicitée pour trouver le meilleur chemin, voire le construire lui-même et ainsi proposer de nouvelles façons de faire.
« Avoir un grand réseau, ça aide à voir les opportunités. » – Charles Crawford
Voilà les bases avec lesquelles Charles a travaillé pour formuler sa thèse de doctorat.
The Net effect
Inspiré par toutes ces études, Charles a élaboré un modèle qu’il a nommé Net Effect; une façon imagée d’illustrer son modèle qui est comme un filet de pêcheurs pour attraper plus de poissons. Au centre de ce filet, on y trouve l’entrepreneur et sa vision liés à des strates représentant les différents réseaux soit les aviseurs, l’équipe et les alliances.
Charles cherchait ainsi à déterminer s’il est vrai que les entreprises qui bâtissent activement leur réseau d’affaires connaissent plus de succès. Ses lectures le confirmaient, mais il souhaitait le valider d’une façon concrète. Il a donc entamé une étude quantitative, basée sur des statistiques, pour valider cette théorie.
Un OSBL au États-Unis, le Kauffman Firm Foundation, a créé un sondage auquel 4928 entreprises ont été invitées à participer. Ces entreprises ont toutes démarré en 2004. Le sondage, très détaillé, incluait les informations financières de chacune des entreprises. Le sondage Kauffman est la plus grande base de données sur un corps d’entreprises qui n’a jamais existé. Charles a analysé les données jusqu’en 2011. Il restait à ce moment seulement 1757 entreprises. Moins de la moitié des entreprises étaient toujours en activité (certaines ont aussi simplement arrêté de répondre au sondage, mais en petite proportion). Le bassin de données représente autant des entreprises en high-tech que low-tech, de grandes villes et de petites villes de partout aux USA.
Ses constats
X Factor 68 + Règle de 85-3
Très peu d’entreprises connaissent de la croissance. La grande majorité ferment ou restent petites. Charles a séparé le lot en trois groupes: high performers, medium performers et low performers.
High Performers : entreprises avec plus de 2,5 M$ de chiffre d’affaires. Au total, 143 entreprises (3 %). Combiné leur chiffre d’affaires représente 3 G$ de chiffre d’affaires, soit une moyenne de 21,9 M$/entreprise.
Medium et low performers : au total 1614 entreprises. Combinés, leur chiffre d’affaires total ne représente que 500 M$ donc une moyenne de 309 k$/entreprise.
Les high performers surpassent les autres catégories par 68 fois. La différence entre les high performers et les low performers est donc immense. Normalement, on parle d’un ratio de performance de 80-20, mais la réalité est tout autre. Il s’agit plutôt d’un ratio de 85-3, soit 85 entreprises avec peu de croissance pour 3 entreprises à forte croissance.
Avec ses données en main, Charles a ensuite tenté de voir quels étaient les facteurs de succès des entreprises à forte croissance. Est-ce que le niveau de scolarité, l’industrie, l’emplacement ou encore le fait d’avoir déjà été en startup ont une incidence ? La réponse est non. Aucun de ces éléments ne présentait des différences assez grandes pour que l’on puisse affirmer qu’ils ont un effet.
« Ce n’était pas nécessairement le background de l’entrepreneur, c’était surtout les actions de l’entrepreneur qui faisaient une différence entre un succès ou non. » – Charles Crawford
Les deux facteurs les plus importants sont plutôt la formation d’une équipe au stade précoce de l’entreprise et la formation précoce d’alliances stratégiques de qualité.
Formation d’une équipe au stade précoce de l’entreprise
Plus on met une équipe qualifiée et complémentaire en place tôt, plus on a de chances de succès. L’équipe devrait comprendre autant des employés internes que des conseillers externes pour soutenir l’entrepreneur dans la prise de décisions clés. Par ailleurs, les entreprises avec des cofondateurs ont beaucoup plus de chances de succès. Il y a une forte corrélation entre les revenus annuels et le fait d’avoir un fondateur unique versus des fondateurs multiples au sein d’une même entreprise. Savoir bien s’entourer est donc fondamental.
Formation précoce d’alliances stratégiques de qualité
Les alliances stratégiques, quant à elles, permettent d’avancer plus vite. Elles procurent un remède à l’obstacle numéro 1 de toutes les startups, soit le manque de ressources.
« Si on est vraiment focusé sur l’interne, on essaie de tout faire nous-même ou on ne fait pas des alliances avec des compagnies qui peuvent nous procurer des raccourcis, qui peuvent nous donner des ressources qu’on a pas, qui peuvent nous donner accès à un marché, on perd des opportunités. » – Charles Crawford
Il faut toutefois limiter les alliances, d’où l’importance du mot stratégique. La performance financière grandit avec le nombre d’alliances, mais à un certain moment, si on a trop d’alliances, ça diminue notre rendement. La clé n’est donc pas d’avoir une grande quantité d’alliances stratégiques, mais bien d’avoir les bonnes.
Les bénéfices d’avoir des alliances stratégiques peuvent être multiples: réduction des coûts, hausse de la crédibilité, augmentation du bassin de clients, partage des réseaux, gain en vélocité (Speed-to-market).
Une vision partagée
L’étude de Charles démontre clairement que ce sont les activités de réseautage de l’entrepreneur qui influencent ses chances de succès et non pas son bagage. Et ce, peu importe qu’il ait déjà eu une entreprise, qu’il travaille dans l’industrie depuis 15 ans ou qu’il se démène seul comme un fou furieux pour faire avancer son entreprise. S’il ne se met pas en relation avec différents réseaux et qu’il ne profite pas des ressources disponibles à l’extérieur de son entreprise, ses chances de succès s’en trouvent réduites. Afin que sa vision se concrétise, l’entrepreneur doit impérativement partager celle-ci et profiter des ressources et opportunités à sa disposition qui lui permettront de la mettre en action.
Rédaction :
Amélia Bourbonnais – Coordonnatrice administrative, Espace-inc