La force cachée au sein de nos PME québécoises : les intrapreneurs
Parce qu’ils défient le statu quo et provoquent le changement, les intrapreneurs se retrouvent trop fréquemment ignorés ou en situation de conflit avec la hiérarchie. Souvent perçus par les dirigeants et les gestionnaires comme des délinquants organisationnels, les intrapreneurs comptent pourtant parmi les ambassadeurs les plus convaincus de porter la mission de l’organisation. Ils sont passionnés par les processus innovants et par-dessus tout, ils entreprennent le changement. Pourtant, ces pépites sont sous-exploitées au sein de nos organisations québécoises. Du moins, c’est ce dont témoignent les données du Global Entrepreneurship Monitor pour le Québec : en 2022, 1,7 % des employés sondés dans la province s’identifiaient comme des intrapreneurs alors qu’en 2021, ce taux était de 3,2 %.
Qu’est-ce que l’intrapreneuriat?
Selon l’Institut de l’Intrapreneuriat du Business School de Lyon, l’intrapreneuriat se définit comme étant une démarche par laquelle un ou plusieurs employés, en association avec leur organisation, s’engagent et portent à leurs initiatives des activités innovantes et créatrices de valeur1.
Toujours selon l’Institut de l’Intrapreneuriat, il existe deux modèles d’intrapreneuriat au sein des organisations, soit l’intrapreneuriat spontané et l’intrapreneuriat induit.
L’intrapreneuriat spontané se qualifie comme étant un processus qui survient naturellement au sein des organisations lorsqu’elles éprouvent des défis, des obstacles (technologiques, managériaux, productiques, etc.) ou lors d’un repositionnement sur de nouveaux marchés. Dans ces cas concrets, une ou des ressources internes qui entrevoient les obstacles différemment décident de proposer des solutions. Ils décident alors d’entreprendre leur projet à l’interne en proposant la solution aux gestionnaires.
Alors que lorsque l’on parle d’intrapreneuriat induit, ce sont plutôt les dirigeants et les gestionnaires qui deviennent porteurs de l’initiative qui vise à encourager l’intrapreneuriat au sein de leur organisation. Ce changement de posture permet de véhiculer un message différent à l’ensemble des équipes, soit celui que leur vision et leur talent comptent dans l’organisation. Ceci ayant pour effet de favoriser l’émergence d’une culture davantage innovante et collaborative.
Vécu par plusieurs entrepreneurs, le dilemme de l’innovateur rend difficile la gestion simultanée de la croissance, de l’optimisation des opérations tout en souhaitant demeurer agile et innovant2,3. Les entrepreneurs se retrouvent alors dans un quotidien qui les éloignent de la créativité et des tendances externes qui leur permettraient d’innover. Miser sur l’intrapreneuriat devient alors une solution intéressante à explorer. Certaines organisations ont compris ce modèle innovant et l’exploitent bien. Des boîtes comme Google, Xerox, Michelin, Apple et Sony, mais aussi de belles PME québécoises telles que Premier Tech, Cascades, Creaform, Mondou, Entosystem, Talsom, Levio et Spektrum pour ne nommer que celles-ci, ont adopté ce modèle afin d’être agiles, rapides, innovantes et d’offrir un cadre motivant pour leurs employés.
Même si les principaux exemples d’intrapreneuriat nous parlent des bienfaits sur l’organisation, tels que l’agilité, la compétitivité, l’innovation ainsi que la motivation intrinsèque et le sentiment d’appartenance sur les ressources humaines, il n’en demeure pas moins que l’intrapreneuriat permet aussi de développer l’agentivité4 de certains candidats, ce qui, dans un contexte de repreneuriat, pourrait favoriser, voire accélérer le développement des compétences entrepreneuriales de futurs repreneurs.
Et si cette délinquance intelligente pouvait contribuer à propulser votre organisation?Et si les intrapreneurs étaient reconnus et valorisés au sein de votre organisation?
OK, je veux bien, mais par quoi je commence?
Voici 6 astuces qui vous permettront de favoriser une culture intrapreneuriale et d’exploiter positivement les talents intrapreneuriaux qui se trouvent dans votre organisation.
1. Légitimité et cohérence
D’abord il est important de mettre en place un cadre opératoire clairement défini (qui, quoi, comment, pourquoi et quand). En balisant les frontières de cet espace, vous favorisez l’engagement et la reconnaissance de ceux qui y participent, mais vous donnez aussi une raison d’être au dispositif intrapreneurial (WHY).
Par ailleurs, si vous souhaitez challenger le statu quo, il devient alors impératif d’être cohérent dans vos pratiques,vos communications, votre posture et vos processus organisationnels. En somme, dans l’ensemble de votre culture organisationnelle. Les composantes de votre culture doivent, de manière cohérente, favoriser une porosité dans l’ensemble de votre structure de manière à escompter un engagement tacite de tous envers le dispositif et son espace5.
2. Espace
Consacrez un espace-temps, soit une plage horaire bien définie dans la semaine afin que les intrapreneurs puissent s’investir sans ambiguïté. Définissez les ressources matérielles, logistiques, technologiques et humaines auxquelles ils auront accès. Allouez la pleine autonomie aux équipes et aux individus impliqués dans ce dispositif. Évitez de trop orienter les objectifs et le processus. Laissez libre cours à la liberté créative et à la sérendipité6, vous serez surpris de ce qui va en ressortir. De grâce, n’attendez pas de résultats dès la première semaine, vous risquez d’être déçu. Donnez-vous du temps pour expérimenter, semer, arroser et récolter!
3. Encouragez la prise de risque
Encouragez les nouvelles idées, et ce, même si elles ne vous plaisent pas toujours. Il ne s’agit pas d’accepter tous les projets, mais plutôt d’encourager la démarche qui vise à explorer les possibilités, à expliciter à l’équipe la vision que l’intrapreneur a derrière la tête et à laisser l’intrapreneur se confronter aux facteurs de l’environnement interne et externe de l’organisation. Ce faisant, vous favoriserez le développement des compétences stratégiques de l’intrapreneur, et qui sait, vous verrez peut-être aboutir un projet porteur pour votre organisation.
4. Optez pour la règle des « Baby-steps »
Même si votre entreprise a plusieurs enjeux, défis et problématiques, ce n’est pas tout qui va pouvoir se régler via ce dispositif. Favoriser une culture entrepreneuriale et innovante au sein d’une organisation qui n’a pas beaucoup « flirté » avec ces façons de faire peut comporter certains risques. Il devient raisonnable de gérer ces risques en avançant doucement.
Pour y arriver, il pourrait être intéressant de créer un « think tank » composé de profils différents et complémentaires afin d’exposer la problématique dans son ensemble. Le premier mandat de ce groupe sera de bien comprendre la problématique, d’en découvrir les causes racines et de proposer plusieurs pistes de solutions qui deviendront des projets. Une priorisation des différents projets s’en suivra. Vous vous retrouverez ainsi avec une série de petits projets qui seront priorisés dans le temps en fonction de leur importance, et pour lesquels, la réussite du précédent devient un « go » pour le suivant. Cette façon de gérer par petits projets permet un meilleur contrôle des risques, ainsi qu’une meilleure maîtrise du processus et des connaissances développées.
5. Planifier et mesurer
Avant de parler du succès ou de l’échec d’un projet, il faut d’abord parler de l’atteinte des objectifs et de la mesure des cibles atteintes ou non. Par conséquent, il est important que l’intrapreneur définisse les objectifs directs et indirects ainsi que les cibles SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporellement défini) dès le départ. Définissez des jalons qui vous permettront de bien mesurer l’avancement du projet et de bien planifier les étapes à venir ainsi que les ressources à investir. ATTENTION! Gardez en tête que la définition des cibles doit comprendre une certaine latitude permettant la prise de risque. De plus, le simple fait d’explorer un nouveau champ de connaissances que vous ne possédez pas à l’interne peut représenter une cible en soi. Si vous balisez de manière trop spécifique, vous serez davantage dans une gestion de projet que dans un espace d’intrapreneuriat.
6. Reconnaître et célébrer
Afin d’avoir le sentiment d’être utile et de contribuer aux changements dans l’organisation, il est nécessaire que les personnes soient reconnues pour leur contribution, mais aussi pour leurs compétences et pour ce qu’elles sont. Or, l’engagement des intrapreneurs est généralement supérieur à celui de la moyenne des salariés. Cette implication et ce dépassement méritent une reconnaissance, d’abord pour leur travail, mais également pour leur engagement et leur motivation. Cette reconnaissance aura le bénéfice de nourrir leur motivation et de motiver d’autres candidats potentiels à entreprendre une démarche intrapreneuriale.
Célébrez ensemble vos succès comme vos échecs! Comme la citation célèbre de Winston Churchill :
« Le succès est la capacité d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ».
La motivation devient la clé vers l’apprentissage et le succès. Plutôt que de valoriser seulement les projets à succès, dégager et diffuser les apprentissages provenant de projets qui ont échoué est une manière élégante de valoriser les connaissances acquises tout en favorisant l’expérimentation (permettre la prise de risque).
En conclusion, j’aimerais vous inviter, chers entrepreneurs, à vous rappeler chacune des phases par lesquelles vous êtes passé lors de la création de votre entreprise. Cette énergie et ce challenge que vous ressentiez lorsque vous étiez en plein dedans. Ça vous parle? Eh bien, cette énergie et cette volonté de vouloir changer le monde, les délinquants intrapreneurs présents au sein de votre entreprise, ils et elles en ont à revendre! Il n’en tient qu’à vous de les reconnaître et de les valoriser.
Rédaction :
Marc-André Saint-Yves – Lead Recherche et Innovation, Espace-inc
Sources :
- 1 Définition élaborée en 2019 par un groupe de travail mis en place par la Direction Générale de l’Entreprise France et reprise par l’Institut de l’intrapreneuriat, em Lyon Business School
- 2Christensen, C.M. (1997), The innovator’s dilemma, Harvard business school press.
- 3Ferrary, M., (2013), Écosystème intrapreneurial et innovation. Revue française de gestion 233/2013.p.107-121
- 4Agentivité: la capacité des individus à être des agents actifs de leur propre vie, c’est-à-dire à exercer un contrôle et une régulation de leurs actes
- 5Ferrary, M., (2013), Écosystème intrapreneurial et innovation. Revue française de gestion 233/2013.p.107-121
- 6Don de faire par hasard des découvertes fructueuses